Gotland. Merveilleuse île… Là, les arbres courts s’accrochent tant bien que mal à la rugosité des roches, dont les carrières ont servi de berceau aux pierres érigées depuis en églises scandinaves ou en palais germains. Ailleurs, ce sont les sables à peine recouverts de mousses qui font le lit des fougères et des forêts de chênes et de résineux, abritant des animaux qui semblent plutôt surpris que nous croisions leur route. Partout sur l’île, les moulins viennent battre la mesure des vents qui la traversent, la caressant tantôt, la fouettant parfois… Partout, la mer ; partout. Et ses phares rappelant au voyageur la lueur du foyer où il est attendu. On s’y sent près des éléments.

C’est Ruth qui nous en a parlé. Au téléphone, l’amie de l’ami de notre chère amie Marianne nous a dit l’atmosphère spéciale, l’énergie de Gotland. Nous avons beaucoup hésité… question d’argent – la traversée est assez chère pour nous – question de temps aussi – ne devrait-on pas se dépêcher de monter au Nord de la Suède, qui sera trop froid ensuite, trop enneigé ? Nous y sommes allés.

La première impression. C’est sans doute le vide, le calme, mais un calme plein, accueillant et douillet. Un calme rempli de vie. Pour des raisons pratiques, nous sommes allés d’abord dans un camping « à la ferme », que nous avons découverts de nuit. Il faut dire qu’il était au moins 18h… Trouvant notre chemin entre le garage mécanique, les jeux pour enfants d’un autre âge et le bâtiment où mangeaient les poules, nous avons rencontré les tenants du lieu, Per et Kickan, qui nous ont accueilli comme on retrouve des copains après une courte absence. Nous avons tout redécouvert le lendemain, en couleur, les animaux de basse-cour venant s’ébrouer juste à côté du camping car, dans le canal qui borde la propriété, les poneys de toutes tailles, le terrain de foot. Le manège, que Per a monté sur une roue de locomotive, pour que ça tourne mieux. En effet, ça tourne… La cabine téléphonique Telia, qui trône dans un coin, toute vide. Les canoës, comme celui qu’on prendra pour descendre le canal bordé de roseaux et d’arbres aux racines dénudées, jusqu’à la mer… en faisant une halte dans un amphithéâtre de bois construit par Per et Kickan pour des concerts à la belle saison. En revenant de la balade, nous nous sommes laissés inviter dans un salon chaleureux pour le goûter, de vieux vinyles craquant le rock à fond tandis que les enfants entamaient une partie de baby-hockey sur glace endiablée. Lionel et Luna avaient ouvert la voie avec un plus classique baby-foot…

Cap au Sud. Après avoir fait courir devant les phares, une bonne douzaine de lapins, nous avons dormi juste à côté d’une ancienne carrière de calcaire, dont les installations semblent encore prêtes à servir. Nous y graverons aussi la marque de notre passage avant de partir.

Entre la pointe Sud et la pointe Nord, 176 km. Au milieu, un repas de harengs panés, de saumon et crevettes sortant du plus vieux fumoir artisanal de l’île. Et une saffrannspannkaka partagée au dessert, une des spécialités de Gotland où poussent les précieuses fleurs violettes. Un lieu pour dormir est vite trouvé après le bac entre Gotland et Fårö, la petite île rocailleuse que Bergman a tant chérie. Juste le temps d’apercevoir les cygnes se baignant, de faire quelques ricochets avant que la nuit ne tombe. Au matin, le soleil bienfaisant a baigné de soleil la plage, redonnant toutes leurs couleurs à ce qui nous entoure, le bleu profond de la mer, les gris clair et noirs des cailloux de la baie, le rouge de la petite cabane qui la surplombe, le vert des pins…

Nous sommes partis en quête des rauks, ces roches massives restées plantées sur les côtes que l’érosion attaque tout autour… On s’y sent petits, on se sent faire partie de ce tout, on y grandit à voir ces silhouettes découpées sur l’horizon. On y rêve… Quelles histoires ont-ils vu, combien d’autres à venir abriteront-ils… Ou bien, à quoi ressemble celui-ci ? Une tête de bélier, un chien… un phoque sur le dos… Nous les avons longées, à vélo, à travers les routes silencieuses et les chemins sous les arbres, dépassant des villages de pêcheurs, pressés que la nuit attende notre retour pour envelopper ce bout de terre…

Nous sommes retournés au Sud pour une paisible nuit de plus, sommes passés par les routes côtières, revenus par les routes intérieures. Ici, là, plus loin, les moulins à vent nous rappellent au passé de l’île… Les nombreux poneys et les épais moutons gris emplissent les paysages de leur présence évidente, l’île leur appartient, et parmi nos découvertes, nous avons aperçu un champ où se reposaient des centaines de cygnes de passage. Moment de grâce…

Nous n’aurons que traversé Visby, la ville médiévale où logent la moitié des habitants de l’île. Peut-être par manque de temps, peut-être aussi pour rester si près de la nature qui nous a accueillie sans faux-semblants ces quelques jours suspendus, comme hors du temps pour ce début de voyage.